Beatles

Surnom The Fab Four
Pays Liverpool,  Royaume-Uni
Genre Pop, rock, (voir liste détaillée)
Années actives 1960 à 1970 (réunion entre 1994 et 1996)
Site officiel

The Beatles est un groupe musical originaire de Liverpool, composé de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Il demeure, en dépit de sa séparation en 1970, l'un des groupes de rock les plus populaires au monde. En dix ans d'existence et seulement huit ans de carrière discographique (de 1962 à 1970), les Beatles ont enregistré douze albums originaux et ont composé plus de 200 chansons. Une productivité particulièrement remarquable dans la période 1963-1966, où, entre les tournées incessantes et la participation à deux longs métrages, ils ont publié sept albums, treize singles et douze EPs, par ailleurs emportés dans un phénomène d'ampleur dénommé Beatlemania.

Considérées comme la « bande-son » des années 1960, les chansons des Beatles ont marqué leur décennie ainsi que les générations suivantes, et leurs mélodies ont été adaptées à de nombreux genres musicaux, notamment le jazz, la salsa, le reggae, la soul ou la musique classique et baroque. Au XXIe siècle, le groupe jouit toujours d'une grande popularité ; ses chansons sont jouées et reprises dans le monde entier. Le duo d'auteurs-compositeurs Lennon/McCartney reste célèbre comme créateur de standards qui ont fait l'objet de milliers d'adaptations dans les décennies suivantes.

Les Beatles demeurent les artistes ayant vendu le plus grand nombre de disques au monde,. Ce chiffre était déjà estimé par EMI dans les années 1980 à plus d'un milliard de CD, vinyles, et même 78 tours en Inde, vendus à travers la planète,, et il a continué à augmenter jusqu'à aujourd'hui atteignant un chiffre supérieur à 2 milliards,,. Par ailleurs, on a calculé dans les années 1970 qu'à tout moment, l'une des interprétations de la chanson Yesterday (on en dénombre plus de 3 000) était jouée par une radio quelque part dans le monde.

« Placés à la proue » de l'évolution de la jeunesse et de la culture populaire des années 1960, leur style, leur habillement, leurs discours, leurs orientations, leur popularité planétaire, leur conscience sociale et politique grandissantes au fil du temps, ont étendu l'influence des Beatles bien au-delà de la musique, jusqu'aux révolutions sociales et culturelles de leur époque.

Membres

Les Fab Four

John Lennon (né le 9 octobre 1940 à Liverpool, et mort assassiné à New York le 8 décembre 1980) a résumé les débuts du groupe ainsi : « Il était une fois trois petits garçons nommés John, George et Paul, c'étaient leurs noms.

Ils décidèrent de se mettre ensemble parce qu'ils étaient du genre à se mettre ensemble. Pourquoi étaient-ils ensemble, se demandèrent-ils, pourquoi après tout, pourquoi ? Alors ils se mirent à faire pousser des guitares et fabriquèrent un bruit. Bizarrement, personne ne fut intéressé, et les trois petits hommes moins encore que tout autre. » C'est en effet lui qui fonde en 1957 son groupe, The Quarrymen, ancêtre des Beatles. Il recrute rapidement Paul McCartney (né le 18 juin 1942 à Liverpool) en juillet 1957, puis accepte un ami de celui-ci, George Harrison (né le 25 février 1943 à Liverpool, et mort le 29 novembre 2001 à Los Angeles) en février 1958. S'ils jouent, au départ, tous de la guitare, les rôles se répartissent dès 1961 avec Lennon à la guitare rythmique, Harrison à la guitare solo, et McCartney à la basse. Le quatrième membre du groupe - tel qu'il est connu sur tous ses albums - est recruté bien après les autres, il s'agit de Ringo Starr (Richard Starkey de son vrai nom, né le 7 juillet 1940 à Liverpool), qui tient la batterie à partir de l'été 1962.

Si, pour les premiers albums du groupe, les quatre garçons gardent généralement leurs guitares et batterie respectives, ils apprennent bien vite à varier, jouant du piano, toutes sortes de claviers et instruments divers, de percussions, inversant les rôles? Paul McCartney se charge ainsi du solo de Taxman à la place de George Harrison, et joue également de la batterie sur plusieurs chansons comme Back in the U.S.S.R.. À l'inverse, il arrive à Lennon ou à Harrison de tenir la basse, comme sur Helter Skelter. John et Paul jouent, seuls, de tous les instruments sur The Ballad of John and Yoko. Les membres du groupe introduisent également de nouveaux sons : Paul McCartney est un des premiers à utiliser le Mellotron fin 1966, George Harrison introduit la guitare électrique à 12 cordes sur l'album A Hard Day's Night, joue de plusieurs instruments indiens, notamment le sitar, sur plusieurs chansons à partir de 1965. Il est également un pionnier de l'utilisation du synthétiseur dans le rock, sur l'album Abbey Road.

les Beatles comptent trois chanteurs à part entière : John, Paul et George. Ils interprètent généralement, respectivement, les chansons qu'ils ont composées, le duo Lennon/McCartney étant nettement en tête sur les albums. Au niveau des chœurs, deux d'entre-eux accompagnent le chanteur principal, sans compter bien sûr les harmonies à trois voix, voire, virtuellement, jusqu'à neuf voix comme sur la chanson Because. Sur les premiers albums, Harrison chante deux ou trois reprises de standards du rock ou de chansons composées par ses camarades, avant de passer à ses propres compositions, dans les mêmes proportions. Quant au batteur du groupe, il interprète une chanson par album (à l'exception de A Hard Day's Night et Let It Be où il ne chante pas), reprise ou composée par le tandem. Dans les dernières années du groupe, il interprète cependant ses propres chansons.

Membres additionnels

les Beatles ont, durant leur carrière, fait appel à de nombreux musiciens de studio, qu'il s'agisse de joueurs « classiques » de cuivres et de cordes (par exemple sur Yesterday ou Penny Lane), ou même d'orchestres symphoniques entiers pour des chansons comme A Day in the Life ou plusieurs titres d'Abbey Road. Leur producteur et arrangeur George Martin joue fréquemment du piano et des claviers sur leurs albums. Il arrive occasionnellement que des proches se joignent au groupe, comme Eric Clapton et Brian Jones sur certaines chansons.

Cependant, quatre musiciens occupent une place particulière. Pete Best (né le 24 novembre 1941), tout d'abord, a été le batteur du groupe de 1960 à 1962, durant les séjours des Beatles à Hambourg et leurs concerts au Cavern Club de Liverpool, avant d'être évincé à la demande de George Martin, qui le trouvait inadapté à l'image du groupe. Sa carrière ne décolle jamais par la suite, lui valant de passer à la postérité comme l'homme qui a raté de peu le succès. Autre musicien des débuts du groupe, Stuart Sutcliffe (23 juin 1940 - 10 avril 1962), ami peintre de Lennon, est le premier bassiste des Beatles. Sans véritablement maîtriser son instrument, il participe aux premières tournées du groupe à Hambourg, avant de reprendre ses études d'art. Il meurt prématurément avant que le groupe ne connaisse le succès international.

Jimmy Nicol (né le 3 août 1939) occupe une place particulière parmi les musiciens qui ont entouré les Beatles, puisqu'il est le seul à être monté sur scène avec eux durant la Beatlemania en juin 1964. Alors que Ringo Starr est hospitalisé en urgence, Nicol est chargé de tenir la batterie pendant quelques jours durant une tournée en Europe puis en Océanie. Enfin, Billy Preston (2 septembre 1946 - 6 juin 2006) est le seul musicien à avoir participé durant presque tout un album (Let It Be) à toutes les sessions en studio ainsi qu'au célèbre concert sur le toit de l'immeuble Apple, et surtout à être crédité comme musicien additionnel sur un album du groupe.

Le « cinquième Beatle »

Au cours du temps, un grand nombre de personnes ont pu prétendre au titre de « cinquième Beatle », à commencer par les quatre musiciens qui ont joué avec eux en concert, Stuart Sutcliffe, Pete Best, Jimmy Nicol et surtout Billy Preston pour son travail aux claviers sur l'album Let It Be. S'y ajoute également l'artiste et bassiste Klaus Voormann, ami du groupe depuis leurs séjours à Hambourg, qui a souvent joué avec eux durant leurs carrières en solo et a contribué à plusieurs travaux du groupe, notamment pour la pochette de l'album Revolver récompensée d'un Grammy Award.

D'autres personnes ressortent également, notamment Neil Aspinall, road manager du groupe de ses débuts à 1963, puis leur assistant personnel, et enfin président d'Apple Corps durant 40 ans, mais aussi Derek Taylor, leur attaché de presse et confident. George Harrison a déclaré que Taylor et Aspinall étaient sans contestation les deux « cinquièmes » Beatles. Certains, plus éloignés du groupe, se sont vus attribuer le titre. Le journaliste Ed Rudy s'est ainsi surnommé « le cinquième Beatle » pour avoir été le seul journaliste à accompagner le groupe durant sa première tournée américaine et en avoir tiré de nombreuses interviews. Le disc-jockey Murray Kauffman (dit Murray the K), également proche du groupe durant leur première tournée et fervent défenseur de leurs disques, assure en direct avoir été intronisé « cinquième Beatle » par George Harrison lui-même. Il s'est avéré par la suite qu'il n'en était rien. Enfin, le footballeur George Best, joueur britannique emblématique dans les années 1960, acquiert un tel statut, à l'époque, qu'il se fait humoristiquement surnommer ainsi.

De façon plus précise, deux personnes sont généralement considérées comme le « cinquième Beatle » pour leur rôle dans la carrière du groupe. Brian Epstein, manager des Beatles de 1962 à sa mort en 1967, celui qui a créé leur image et a décroché leurs premiers contrats en tant que Beatles, sur le sol anglais, poussant Paul McCartney à déclarer : « si quelqu'un a été le cinquième Beatle, c'était Brian ». C'est enfin George Martin à qui ce titre est le plus souvent accordé. C'est lui qui a engagé les Beatles sur son label Parlophone, en 1962, et qui a été leur producteur du début à la fin de leur carrière. Il a, à maintes reprises, joué des claviers sur leurs disques, a contribué à leur éveil musical, à introduire de nouveaux instruments dans leur musique, a écrit la plupart des arrangements, parmi lesquels ses fameuses partitions pour Eleanor Rigby ou All You Need Is Love.

Histoire

1957 à 1962 : la formation et les débuts

Des Quarrymen aux Beatles

? John Lennon

John Lennon est un adolescent de Liverpool élevé par sa tante « Mimi » ? Mary Elizabeth de son vrai nom. Son père, Alfred « Freddie » Lennon, un marin, a rapidement délaissé sa mère, Julia Stanley, et son enfant. Julia, qui n'a pas les moyens d'élever John seule, le confie à sa sœur Mimi. Dès qu'il découvre Elvis et le rock 'n' roll, John veut devenir musicien, se voit offrir un banjo puis une guitare par sa mère, et ne tarde pas à monter son premier groupe, The Quarrymen.

Le , à Woolton dans la banlieue de Liverpool, John Lennon, qui a alors 16 ans, et son groupe de skiffle donnent un concert pour la fête paroissiale de l'église St. Peter. À la fin du concert, Ivan Vaughan, un ami commun, présente Paul McCartney à John Lennon. Paul prend alors une guitare et joue Twenty Flight Rock d'Eddie Cochran devant un John un peu éméché mais néanmoins très impressionné. Quelques jours plus tard, Pete Shotton, autre membre des Quarrymen, propose à Paul de se joindre au groupe. Celui-ci, qui n'a que 15 ans, accepte.

En , sur l'insistance de Paul, et malgré les réticences de John qui le trouve trop jeune, George Harrison intègre le groupe comme guitariste solo. À trois - guitaristes et chanteurs - au sein d'une formation à géométrie variable qui s'appellera à tour de rôle, The Rainbows et Johnny and the Moondogs, avec ou sans batteur, ils jouent dans les clubs de Liverpool, comme le Jaracanda, un coffee-shop dirigé par Allan Williams qui officie en tant qu'agent pour le groupe débutant. Ils se produisent également au Casbah, dirigé par Mona Best, la mère de leur futur batteur Pete Best. D'autres portes s'ouvrent ensuite, dont le Cavern Jazz Club, alors que le rock 'n' roll et le Mersey Beat, les styles des groupes de Liverpool, deviennent populaires dans cette ville.

Autodidactes, influencés par le rock 'n' roll (Elvis Presley pour commencer, mais également Chuck Berry, Buddy Holly, Little Richard, Gene Vincent et bien d'autres) ainsi que par le blues noir américain, ils jouent les morceaux de rock du moment « à l'oreille », sans partitions. Mais dès le départ aussi, John Lennon et Paul McCartney s'associent et s'entendent pour écrire ensemble des chansons, par dizaines, assis face à face avec leurs guitares dans une parfaite symétrie (Paul est gaucher), affinant leur technique au fur et à mesure. Quelques-unes d'entre elles, comme One after 909, ressortiront sur les albums des Beatles des années plus tard. Ils partagent également un drame qui les rapproche : Paul McCartney a perdu sa mère Mary, terrassée par un cancer du sein en 1956, tandis que la mère de John, Julia, meurt happée par une voiture conduite par un policier ivre en 1958.

Les futurs « Fab Four » utilisent différentes variantes de leur nom (Beetles, Silver Beetles, Long John and the Silver Beatles, Silver Beats) avant de se fixer sur le mot-valise « Beatles » pendant l'année 1960. Il s'agit en fait de références au groupe accompagnant Buddy Holly, The Crickets, et au film L'Équipée sauvage avec Marlon Brando, où il est question d'un gang du nom de « Beetles » (« scarabées »). Il fait aussi référence au rythme (beat) du rock 'n' roll (appelé beat music). Les quatre adoptent définitivement cette appellation (attribuée à John Lennon et Stuart Sutcliffe) en août 1960, lorsque débute leur premier engagement sérieux, déniché par Allan Williams à Hambourg, où ils vont rencontrer Klaus Voormann et Astrid Kirchherr.

Les séjours à Hambourg

Bruno Koschmider, propriétaire de l’Indra Club et du Kaiserkeller, des établissements situés dans le quartier chaud de Sankt Pauli à Hambourg, engage donc les Beatles sur les indications d'Allan Williams.

Cinq jours avant de partir pour l'Allemagne, le , ils ont auditionné et engagé Pete Best comme batteur, alors que Stuart Sutcliffe est leur bassiste depuis le début de l'année. Mais ce dernier, copain de John Lennon, qui a pu rejoindre le groupe tout simplement parce qu'il avait assez d'argent (artiste-peintre en devenir, il a vendu une de ses toiles) pour s'acheter un instrument, ne sait pas en jouer. Il se produit dos au public afin que cela ne se voie pas et « joue » même parfois sans que son instrument soit branché à un ampli. Sutcliffe tombe amoureux d'Astrid Kirchherr (qui prend les premières photos du groupe, des clichés restés célèbres) et décide de rester à Hambourg en 1961 lorsque ses camarades regagnent l'Angleterre. Entre leurs différents voyages en Allemagne, ils continuent à se produire à Liverpool et dans ses environs, se constituant un solide noyau de fans, mais restent inconnus au-delà du « Merseyside », se retrouvant notamment, en décembre 1961, à jouer devant 18 personnes à Aldershot dans la lointaine banlieue de Londres.

Paul McCartney, jusque-là guitariste au même titre que John Lennon et George Harrison, est devenu le bassiste du groupe (ses deux camarades n'étant pas enthousiastes pour tenir ce rôle) après le départ de Sutcliffe, qui décède à 21 ans le d'une congestion cérébrale, trois jours avant que les Beatles ne posent à nouveau le pied sur le sol allemand pour un nouvel engagement de sept semaines au Star Club.

Les Beatles font en tout cinq séjours à Hambourg (d'août à novembre 1960, de mars à juillet 1961, d'avril à mai 1962, puis en novembre et en décembre 1962), le premier d'entre eux étant interrompu simultanément par le renvoi en Angleterre de George Harrison car il est encore mineur et les expulsions de Paul McCartney et Pete Best pour avoir involontairement mis le feu à leur loge. Pour satisfaire le public des clubs de la cité hanséatique, les Beatles élargissent leur répertoire, donnent des concerts physiquement éprouvants, et recourent aux amphétamines pour rester éveillés. Les jeunes gens sont par ailleurs logés dans des conditions difficiles, voire quasiment insalubres.

D'autres groupes de Liverpool se produisent à Hambourg, comme Rory Storm and the Hurricanes, dont le batteur se nomme Ringo Starr. les Beatles envient sa notoriété et apprécient sa compagnie. Les deux groupes partagent l'affiche de très nombreuses fois à Liverpool, et se retrouvent au Kaiserkeller du côté de la Reeperbahn pendant plus d'un mois en octobre et novembre 1960, où Ringo aura l'occasion de jouer avec eux. Selon Paul McCartney, l'intérêt pour le groupe dans sa ville de Liverpool naît au retour de Hambourg le 27 octobre 1960 lors d'un concert au Utherland Town Hall de Liverpool, salle municipale qui servait deux jours par semaine de dancing aux jeunes.

C'est aussi à Hambourg qu'ils décrochent leur premier contrat d'enregistrement, chez Polydor, en tant qu'accompagnateurs du chanteur et guitariste Tony Sheridan. Le 45 tours My Bonnie par Tony Sheridan and The Beat Brothers est publié en .

« J'ai grandi à Hambourg, pas à Liverpool », dira plus tard John Lennon. Évoquant cette période des débuts, il racontera aussi : « Quand les Beatles déprimaient et se disaient : « On n'ira jamais nulle part, on joue pour des cachets merdiques, on est dans des loges merdiques », je disais : « Où on va, les potes ? », et eux : « Tout en haut, Johnny ! », et moi : « C'est où ça ? », et eux : « Au plus top du plus pop ! » (to the toppermost of the poppermost), et moi « Exact ! » Et on se sentait mieux. »

Par ailleurs, nostalgique de cette époque « cuir », on entend aussi John Lennon expliquer dans le disque Anthology 1 : « Ce que nous avons fait de meilleur n'a jamais été enregistré. Nous étions des performers, nous jouions du pur rock (straight rock) dans les salles de danse (dance halls), à Liverpool et à Hambourg, et ce que nous produisions était fantastique. Il n'y avait personne pour nous égaler en Grande-Bretagne (There was nobody to touch us in Britain). »

En 2008, Hambourg a dédié une place de la ville au groupe en hommage à leur musique.

L'apport décisif de Brian Epstein

À leur retour d'Allemagne, les Beatles ont acquis la maturité qui leur manquait, techniquement d'abord, sur scène ensuite. Après leurs deux premiers voyages formateurs à Hambourg, le , Brian Epstein vient voir les Beatles au Cavern Club de Liverpool, le café souterrain où ils se produiront près de 300 fois jusqu'au . Disquaire à l'origine, Epstein n'a jamais dirigé de formation musicale auparavant mais connaît quelques-uns des à-côtés qui mènent à la popularité d'un artiste. Il va devenir leur mentor et les propulser au rang de musiciens professionnels. Il va notamment leur faire abandonner les vêtements en cuir pour une nouvelle tenue vestimentaire et gommer ainsi leur image de sauvages.

Les Beatles devront maintenant jouer en complet-veston, comme les professionnels de l'époque, avec leur coupe de cheveux caractéristique, la moptop se différenciant de la banane des rockers ou de leurs cheveux gominés et peignés en arrière (seul Pete Best gardant cette dernière coiffure). Astrid Kirchherr (sous l'influence des existentialistes ou les étudiants en Beaux-Arts de cette ville) aurait été à l'origine de cette coupe de cheveux en bol lors de leur séjour à Hambourg pour certains, d'autres considèrent que ce sont John Lennon et Paul McCartney qui l'ont adoptée à l'issue d'un court séjour à Paris en , la « coupe Beatles » était déjà celle du personnage incarné par Moe Howard dans Les Trois Stooges, trio comique très populaire aux États-Unis dans les années 1930 à 1950.

Brian Epstein fait le tour des maisons de disques afin de leur faire signer un contrat d'enregistrement, multipliant sans succès les tentatives auprès des grandes compagnies discographiques. Un échec chez Decca restera célèbre. les Beatles y sont auditionnés le en enregistrant 15 titres en une heure. Dick Rowe, directeur artistique (A&R) chez Decca, sera surnommé dans le milieu « the man who turned down The Beatles » (l'homme qui rejeta les Beatles) pour avoir dit au jeune manager : « Rentrez chez vous à Liverpool, M. Epstein, les groupes à guitares vont bientôt disparaître. » Il laissera même le groupe repartir avec les bandes...

L'intuition de George Martin

Finalement, seul George Martin, alors producteur chez Parlophone, une division d'EMI, se montre intéressé. Début mai, Brian Epstein lui a fait écouter les bandes Decca, et rendez-vous est fixé pour une audition dans les studios EMI d'Abbey Road le .

Quatre jours après être revenus de Hambourg où ils honoraient un engagement au Star Club - leur troisième séjour dans la ville allemande - les Beatles arrivent aux studios EMI de Londres, situés au 3, Abbey Road dans le quartier de St. John's Wood. C'est leur première visite dans ces studios, qu'ils rendront légendaires. George Harrison raconte ainsi leur première audition : « Les autres membres du groupe m'ont presque tué lorsque George Martin nous a enregistrés pour la première fois. En rejouant la bande, il nous a demandé  : « Y a-t-il quelque chose qui ne vous plaît pas ? » Je l'ai regardé et ai dit  : « Pour commencer, je n'aime pas votre cravate », et les autres  : « Oh non ! On essaie de décrocher un contrat ici ! » Mais George Martin avait, lui aussi, le sens de l'humour. » « Ça a brisé la glace ! », note-t-on du côté du personnel technique des studios EMI.

George Martin a une intuition. Il décèle le potentiel des Beatles et décide de les « signer », mais il n'aime pas beaucoup le style de Pete Best et suggère de le remplacer pour les premières véritables sessions d'enregistrement. Le groupe ne se fait pas prier et s'en sépare en , pour le remplacer par Ringo Starr, avec qui les affinités sont bien plus grandes. Une éviction brutale, qu'ils n'annoncent même pas eux-mêmes à Pete Best - c'est Brian Epstein qui s'en chargera. Ce renvoi ne sera pas sans conséquence. George Harrison explique : « On avait joué au Cavern Club et les gens hurlaient « Pete est le meilleur ! » (jeu de mots avec « Best » en anglais), « Ringo jamais, Pete toujours ! » C'était devenu lassant, et je me suis mis à les engueuler. Après le concert, on est sorti des loges, on est entrés dans un tunnel tout noir, et il y a quelqu'un qui m'a balancé un coup de poing dans le visage. Je me suis retrouvé avec un œil au beurre noir. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour Ringo ! »

Les 4 et 11 septembre, ils enregistrent leur premier single, Love Me Do. Pour la version de Love Me Do présente sur l'album Please Please Me, le batteur est Andy White, musicien de studio, tandis que sur le single publié le , c'est Ringo Starr qui tient la batterie ; George Martin ne voulait pas prendre de risques avec un autre batteur qu'il trouvait médiocre. Toutefois, Ringo Starr, qui n'a jamais oublié cette « humiliation », joue du tambourin sur la version de l'album, et ce premier titre publié par EMI sera l'un des seuls où ce n'est pas lui qu'on entend derrière les « fûts » (Paul McCartney, également excellent batteur, remplace Ringo sur Back in the U.S.S.R., The ballad of John and Yoko et Dear Prudence).

À l'instigation de Brian Epstein, qui met à profit son expérience de disquaire, les Beatles vont désormais alterner des sorties de morceaux isolés (sur « 45 tours » ou « singles »), qui ne sont pas sur les albums, et celles d'albums dont sont extraits des singles lancés plus tard, accréditant ainsi l'idée qu'acheter un album des Beatles est une « valeur sûre » où l'on trouve déjà « les succès que les autres ne découvriront que demain ».

Pete Best, amer de son éviction des Beatles, sort son propre album en 1965, Best, of The Beatles (la virgule a son importance), avec le Pete Best Combo, dont la pochette est une photo où il est batteur du groupe et entouré des autres, mais cet album reste anecdotique. De cette époque, certains enregistrements rares et un peu marginaux des Beatles ont été très recherchés, notamment ceux qu'ils ont réalisés chez Polydor avec Tony Sheridan, les fameuses « bandes Decca » de (que l'on a fini par entendre en partie trois décennies plus tard sur le disque Anthology 1), et les enregistrements de 1962 en direct du Star-Club de Hambourg, avec Ringo à la batterie, qui seront publiés en 1977.

1963 à 1966 : la Beatlemania dans le monde entier

Le , sort Love Me Do, qui n'atteint que le 17e rang au palmarès britannique. Ce n'est pas encore la « Beatlemania », mais il s'agit là d'une grande satisfaction pour le groupe, particulièrement au moment où le titre passe de plus en plus à la radio. Leur deuxième 45 tours, Please Please Me ? malgré des paroles ambiguës pour l'époque (« You don't need me to show the way, love », que l'on peut traduire par « tu n'as pas besoin que je te montre comment faire, chérie») ? est propulsé au premier rang. les Beatles obtiennent ainsi l'occasion d'enregistrer un album complet, ce qu'ils feront en 585 minutes (9h45) le . Intitulé Please Please Me et sorti le , cet album atteint également la tête du hit-parade, où il se maintient durant sept mois.

Partie de Liverpool ? où ils continuent jusqu'en à enflammer le Cavern Club ?, la popularité des Beatles se répand dans tout le Royaume-Uni, qu'ils sillonnent inlassablement, y effectuant quatre tournées cette année-là. Les succès se suivent : From Me to You en avril, puis She Loves You en août, sont classés nº 1 au hit-parade. She Loves You et son fameux « Yeah Yeah Yeah! » rend les Beatles célèbres dans toute l'Europe. Leur passage, le , dans le très populaire show télévisé londonien Sunday Night at the Palladium marque le début du phénomène que la presse britannique baptise la « beatlemania ». Disquaires pris d'assaut, ferveur généralisée, jeunes filles en transe? Le groupe va aligner douze n° 1 successifs dans les charts britanniques de 1963 à 1966, jusqu'à la publication en du single « double face A » Strawberry Fields Forever/Penny Lane, seulement n° 2 (mais premier aux États-Unis).

Le , les quatre musiciens de Liverpool se produisent devant la famille royale au Prince of Wales Theatre de Londres, pour le Royal Command Performance, où un John Lennon, irrévérencieux, avant de se lancer dans l'interprétation de Twist and Shout, dit au public : « On the next number, would those in the cheaper seats clap your hands? All the rest of you, if you'll just rattle your jewelry! / Pour notre prochain titre, est-ce que les gens installés dans les places les moins chères peuvent frapper dans leurs mains ? Et tous les autres, agitez vos bijoux ! »

En 1963, John Lennon et Paul McCartney écrivent tout le temps, en n'importe quel endroit, dans le bus qui les amène d'un lieu de concert à l'autre, dans leurs chambres d'hôtel, dans un coin des coulisses avant de monter sur scène, dans l'urgence avant d'enregistrer, quelquefois en une seule prise, autant de titres qui vont marquer leur histoire et celle de la musique rock.

En tête des hit-parades, Please Please Me n'est remplacé à la première place que par le deuxième album du groupe, With The Beatles, publié le . Ces deux disques sont exportés aux États-Unis respectivement sous les noms de Meet The Beatles et The Beatles' Second Album, en ayant préalablement subi divers traitements tels que le raccourcissement de la liste des chansons, la modification de l'ordre des pistes, ou bien celle du son (écho, stéréo, etc.) avec, bien sûr, une nouvelle pochette.

Dans un premier temps, les maisons de disques américaines affichent leur mépris pour ce qu'elles pensent être un phénomène passager. Leur cinquième 45 tours, I Want to Hold Your Hand, est leur premier nº 1 sur le marché américain et y reste du 1er février au . Il sera détrôné par She Loves You du 21 au 28 mars, suivi de Can't Buy Me Love du 4 avril au 2 mai. Le classement du Billboard Hot 100 du aux États-Unis fait apparaître cinq titres des Beatles aux cinq premières places : la « beatlemania » qui avait débuté au Royaume-Uni se propage de l'autre côté de l'Atlantique, et dans le monde entier.

Analyse du phénomène

La « Beatlemania » fut un phénomène d'ampleur et à plusieurs facettes. La jeunesse prend goût à se coiffer et s'habiller « à la Beatles », comme en témoignent les photos de l'époque prises dans les rues. Ils deviennent des trend-setters, expression anglophone que l'on peut traduire en français par faiseurs de mode ou leaders de tendances.

Les disquaires se spécialisent sur la discographie des Beatles, et pour mieux gérer ses stocks, la société EMI/Parlophone propose la présouscription des albums et des singles à suivre, même s'ils sont encore à l'état de projet. Les pré-commandes atteignent dès lors des sommets astronomiques : par exemple, 2,1 millions pour Can't Buy Me Love en 1964.
Des magazines spécialisés fleurissent, comme le célèbre Beatles Monthly, (aussi connu sous le nom de Beatles Book, 77 éditions de 1963 à 1969, intégralement republiées de 1977 à 1982) et se vendent comme des petits pains.

L'atmosphère hystérique des concerts rend parfois ceux-ci presque inaudibles. Le premier ministre britannique, Harold Wilson, remarque néanmoins que ces artistes constituent pour le pays une excellente exportation, notamment en termes d'image : celle de jeunes gens souriants, polis, bien habillés, et pleins d'un humour très britannique lors des interviews. Ils sont décorés par la reine du Royaume-Uni, le , de la médaille de membre de l'Empire britannique (Member of the British Empire, ou MBE). C'est en fait la plus basse des décorations. Certains MBE ? dont plusieurs sont des vétérans et des chefs militaires ?, froissés, renvoient par dépit leur propre croix à la Reine. John Lennon répliqua qu'il aimait mieux recevoir cette distinction en divertissant. Les vrais honneurs arrivent beaucoup plus tard, quand James Paul McCartney est anobli en 1997.

Extrêmement liés, par le simple fait qu'ils sont les seuls à « vivre la beatlemania de l'intérieur », considérant se trouver dans l'œil du cyclone, voyant tout le monde s'agiter frénétiquement autour d'eux, se soudant autant que possible, très amis, les Beatles se voient affublés du surnom de « monstre à quatre têtes » au plus fort du phénomène.

Dans les années 1960, l'industrie musicale est en pleine expansion. Désormais, il est possible de donner des concerts dans des salles de plus en plus grandes. À la télévision, les émissions sont de plus en plus regardées par un public familial. les Beatles participent dès 1963 à de nombreux shows avec les animateurs les plus populaires de la télévision britannique et bientôt américaine, et sont les premiers à passer dans une émission diffusée en « Mondovision », dans le monde entier, le 25 juin 1967, avec la chanson All You Need Is Love.

Depuis 1965, les Beatles ne chantaient pratiquement plus qu'en playback à la télévision et Paul s'en expliquait : « Nous faisons un très important travail de studio, corrigeant inlassablement la moindre imperfection avec une précision maniaque. Pas question d'offrir aux téléspectateurs, alors que ce son existe, un autre son déformé par les mauvais studios des plateaux de TV ». Toujours en 1965, les Beatles prennent la résolution de ne plus donner d'autographes : « Nous n'avons tout simplement pas assez de bras, et nous devons tout de même pouvoir utiliser nos guitares de temps en temps ! »

les Beatles ont l'intelligence de mêler à des standards du rock comme Kansas City des chansons susceptibles de plaire à la génération précédente (Till There Was You, You Really Got a Hold on Me ; Besame Mucho reste dans les cartons). À noter que ces chansons, y compris Besame Mucho, font partie du répertoire des Beatles depuis Hambourg.

Pour ne pas se faire cataloguer comme « mods » et perdre le public des « rockers », Brian Epstein a eu une idée : les Beatles, retrouvant un moment le cuir de leurs débuts, vont sortir un EP (extended play) de quatre titres de rock pur et dur (Matchbox, I Call Your Name, Long Tall Sally et Slow Down) qui est le « disque des initiés » et montre « ce que les Beatles savent vraiment faire quand ils le veulent ». Satisfaits par cet « os à ronger », les rockers ne dénigrent plus les Beatles eux-mêmes, mais les fans qui achètent leurs autres disques en ne sachant pas ce qu'est la vraie musique des Beatles, qui ont montré qu'ils savaient faire bien mieux que de la pop. Pour se concilier ce public ? mais aussi pour se faire plaisir ? la présence d'un « standard de rock » devient un « incontournable » des albums.

Dans le film A Hard Day's Night, tourné en noir et blanc pour ne pas coûter trop cher ? mais aussi pour masquer le fait qu'ils n'ont pas la même couleur de cheveux ? et réalisé par Richard Lester, les Beatles orchestrent habilement leur propre légende, avec un humour très britannique. Cet humour devient délirant avec le film suivant, Help!, sorti à l'été 1965, en couleurs, où les Beatles se moquent d'eux-mêmes. On va jusqu'à les comparer aux Marx Brothers, ce que John estime excessif. Plus tard George Harrison, quant à lui, noue une solide amitié avec Eric Idle et le groupe des Monty Python et va même jusqu'à financer le film Life of Brian.

L'humour britannique reste une composante incontournable des Beatles. Quelques exemples tirés d'interviews :

« Que craignez-vous le plus ? La bombe atomique ou les pellicules ? (ricanements)
- La bombe atomique, puisque nous avons déjà des pellicules (hurlement de rire de l'auditoire) »

« Pouvez-vous nous chanter quelque chose ?
- L'argent d'abord ! »

« Répétez-vous beaucoup ?
- Pour quoi faire ? Nous jouons déjà en concert tous les soirs, vous savez. »

« Vous jouiez autrefois des standards. Pourquoi ne le faites-vous plus ?
- Parce que maintenant, nous en créons. »

« Ringo, êtes-vous des mods ou des rockers ?
- Personnellement, je suis un moqueur » (cette réplique sera reprise dans le film A Hard Day's Night)

« Comment avez-vous trouvé l'Amérique ?
- Tournez à gauche au Groenland ! » (cette réplique sera aussi reprise dans le film A Hard Day's Night)

L'album Rubber Soul sera plus tard ainsi nommé pour pasticher l'expression « plastic soul » (qui se traduit par « âme influençable »). Rubber Sole, qui se prononce presque à l'identique, signifie « semelle de caoutchouc » !

John Lennon avait soigné son personnage avant-gardiste en écrivant en 1964 et 1965 deux livres de courtes nouvelles dans un style imagé et surréaliste, In His Own Write, puis A Spaniard in the Works. La critique de l'époque ne leur fait pas bon accueil, mais Christiane Rochefort traduit en français le premier sous le titre « En flagrant délire ».

Entre-temps, le fan club des Beatles travaille à chouchouter un réseau de fans à qui on concède des bonus comme des photos inédites et des disques hors commerce offerts à Noël : un Christmas Record sortira ainsi chaque année durant les fêtes, jusqu'en 1968. Brian Epstein intervient pour la partie organisation et George Martin pour la partie musicale. Dès le début des années 1960, George Martin fait à tout hasard enregistrer un album de musique symphonique inspirée des Beatles. Un autre, plus élaboré, suit bien plus tard pour le remplacer. Vers l'an 2000, un disque nommé Beatles Go Baroque et issu des pays de l'Est fait de même.

Passage à l'Olympia de Paris

À l'avènement de leur gloire internationale, et donc en laissant de côté leurs prestations au Star Club d'Hambourg et au Cavern Club de Liverpool, c'est à l'Olympia de Paris et durant trois semaines (du 16 janvier au ), à raison d'un, deux ou trois shows quotidiens, soit 41 apparitions en tout, que les Beatles ont joué le plus longtemps au même endroit.

Après un « tour de chauffe » au cinéma Cyrano à Versailles le 15 janvier, ils donnent leur premier spectacle à l'Olympia le lendemain. L'affiche est imposante et donne tout son sens au mot « Music-hall ». Daniel Janin et son orchestre, les Hoganas, Pierre Vassiliu, Larry Griswold, Roger Comte, Gilles Miller et Arnold Archer, acrobates, jongleurs, humoristes, chanteurs se succèdent sur la scène avant la deuxième partie du spectacle avec les trois têtes d'affiche au fronton du Boulevard des Capucines : Trini Lopez, Sylvie Vartan et les Beatles, passant à chaque fois en dernier.

Les passages des Beatles sont assez courts puisqu'ils ne jouent à chaque fois que huit titres : From Me to You, Roll Over Beethoven, She Loves You, This Boy, Boys, I Want to Hold Your Hand, Twist and Shout, Long Tall Sally.

La surprise pour eux, c'est que la salle est composée en majorité de garçons, et qu'ils n'entendent pas, pour une fois, les cris féminins stridents qui les accompagnent d'habitude. Au fur et à mesure, et malgré quelques incidents techniques au début, les Beatles conquièrent leur public.

Durant leur séjour à Paris, les jours de relâche leur permettent d'aller faire un tour aux studios Pathé-Marconi de Boulogne-Billancourt. Le 29 janvier, ils y enregistrent leurs deux titres en langue allemande : Komm, gib mir deine Hand/Sie liebt dich (I Want to Hold Your Hand et She Loves You). Le premier est entièrement enregistré, voix et instruments (en 14 prises), le second n'est qu'un ajout vocal sur leurs propres pistes instrumentales. Le même jour, ils mettent également en boîte un nouveau tube composé par Paul : Can't Buy Me Love.

C'est aussi à Paris que les Beatles apprennent qu'ils viennent de décrocher leur premier N° 1 aux États-Unis : I Want To Hold Your Hand. Cette nouvelle provoque une grande scène de joie collective dans leur chambre du George-V ; Mal Evans raconte :

La conquête de l'Amérique

? Brian Epstein

Trois jours après leur dernière prestation à l'Olympia, une foule immense est à leurs côtés à l'aéroport londonien d'Heathrow, au moment où ils s'embarquent pour le Nouveau Monde. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est encore la foule ? plus de 3 000 fans ? qui les attend lorsqu'ils se posent sur le tarmac de l'aéroport international John-F.-Kennedy de New York, le . Un événement majeur va secouer l'Amérique moins de 48 heures plus tard : plus de 70 millions de personnes (soit 45 % de la population) assistent en direct à leur première prestation télévisée, lors du Ed Sullivan Show diffusé sur CBS le 9 février. Une audience record pour l'époque, qui reste encore de nos jours une des plus élevées de l'histoire, hors retransmissions sportives. Certains médias iront jusqu'à dire que cet événement télévisuel a redonné le moral à l'Amérique encore profondément traumatisée, 77 jours après l'assassinat du Président Kennedy,.

Après un premier concert dans des conditions difficiles au Coliseum de Washington ? la scène est au milieu de la salle, comme un ring, la batterie doit pivoter et les musiciens se retourner pour faire face à une partie ou à l'autre du public, le matériel fonctionne mal, etc. ? le 11 février, un autre le lendemain au Carnegie Hall de New York, et un nouveau passage dans le Ed Sullivan Show en direct de Miami le 16 février, les « Fab Four » (en français les « quatre fabuleux ») rentrent au pays. L'Amérique est emportée par la Beatlemania, un rendez-vous est pris pour une première tournée de 26 dates à travers le pays, à guichets fermés, du 19 août au .

C'est pendant cette tournée estivale des États-Unis que les Beatles rencontrent Bob Dylan, et que ce dernier leur fait essayer la marijuana pour la première fois. Une découverte qui a une importance incontestable dans l'évolution de leur musique. La légende veut que Dylan ait pris le « I can't hide » (« je ne peux le cacher ») de I Want to Hold Your Hand pour « I get high » (« je plane ») et qu'il ne se soit ainsi pas gêné pour proposer un « reefer » aux Beatles.

L'histoire d'amour entre les Beatles et l'Amérique, où ils enchaînent les Nº1 en 1964 et 1965, trouve un point d'orgue le en ouverture de leur seconde tournée de ce côté de l'Atlantique. Ce jour-là, ils sont le premier groupe de rock à se produire dans un stade, le Shea Stadium de New York, devant 56 000 fans déchaînés et dans des conditions singulières pour ce genre de spectacle dans une telle arène, sous les hurlements de la foule. les Beatles se produisent seulement munis de leurs amplis Vox, et sont repris par la sono du stade, c'est-à-dire les haut-parleurs utilisés par les « speakers » des matches de baseball. Il en résulte que ni eux ni le public n'entendent clairement une note de cette prestation historique. Les documents filmés ce jour-là démontrent cependant que les Beatles arrivent à jouer, et que c'est John Lennon qui les empêche de se retrouver paralysés par l'événement en multipliant les pitreries, comme parler charabia en agitant ses bras pour annoncer un titre en se rendant compte que personne ne peut l'entendre, ou maltraiter un clavier avec ses coudes au moment de l'interprétation de I'm Down.

Les contrats signés en 1965 par les Beatles pour qu'ils se produisent dans les arènes américaines stipulent qu'ils refusent de jouer devant un public ségrégationniste. Déjà, en 1964, le groupe avait publiquement déclaré son refus de se produire en Floride tant que le public noir n'était pas en mesure de s'asseoir là où il le désirait?

Pionniers de la British Invasion, terme utilisé aux États-Unis pour y décrire la prédominance des groupes de pop rock anglais ? parmi lesquels les Rolling Stones, les Who ou encore les Kinks ? au milieu des années 1960, les Beatles sont abonnés aux premières places des charts américains jusqu'à la fin de leur carrière. Ils détiennent d'ailleurs toujours, aujourd'hui, un record absolu avec 209 millions d'albums vendus sur ce seul territoire. « La musique n'a plus jamais été la même depuis lors » affirme la RIAA (Recording Industry Association of America).

Cinéma et « œufs brouillés »

Quoi de mieux que le film A Hard Day's Night (dont le titre français est Quatre garçons dans le vent) pour aborder et comprendre ce qu'était la Beatlemania en 1964 ? La bande-son de ce faux documentaire humoristique réalisé en noir et blanc par Richard Lester, qui connaît un succès international, est aussi le troisième disque des Beatles (sorti en Angleterre le chez United Artists Records). Le titre a été accidentellement créé par Ringo Starr ; sortant à une heure avancée des studios, il a dit « It's been a hard day » (« cela a été une dure journée »), puis s'apercevant que c'était la nuit, a ajouté « ?'s night » (« ?de nuit »). Il représente un tour de force de John Lennon, auteur et chanteur principal de 10 des 13 chansons. Il est à cette époque au sommet de sa prépondérance sur le groupe. C'est le premier album des Beatles à ne comporter aucune reprise, tous les titres étant signés Lennon/McCartney. Il inclut notamment la première ballade portant réellement « la patte » de Paul McCartney, And I Love Her, ainsi que de nombreux futurs N° 1. Encore une fois, deux éditions différentes sont réalisées pour l'Angleterre (Parlophone - 14 titres) et les États-Unis (Capitol - 11 titres).

Pressés de toutes parts, littéralement poussés vers les studios au milieu d'incessantes tournées, les Beatles sortent dans la foulée, le , Beatles for Sale (titre évocateur : « les Beatles à vendre »), où ils se contentent de reprendre en studio leur répertoire scénique du moment en y incluant quelques nouvelles chansons, comme Eight Days a Week, I'm a Loser, Baby's in Black et No Reply ou une très ancienne comme I'll Follow the Sun. Le disque comprend donc six reprises de rock 'n' roll et sera livré avec une pochette, qui comme celle de With The Beatles (et d'autres à venir) deviendra une des plus pastichées des décennies suivantes. Au même moment, le titre I Feel Fine de John Lennon, publié en single le 27 novembre, est N° 1 durant cinq semaines. Il démarre par un « feedback » de guitare ou effet Larsen, le premier du genre dans le rock, que l'on pourrait croire accidentel, alors que cet étonnant effet est délibéré. « Je défie quiconque de trouver la présence d'un feedback sur un disque avant I Feel Fine, à moins que ce soit un vieux disque de blues de 1922 » assure John Lennon.

La « beatlemania » bat toujours son plein en 1965, lorsque sortent le film Help! ? tourné par les Beatles dans les volutes de fumée de cigarettes très spéciales ? et le disque du même nom. Seule la moitié des titres de l'album fait partie de la bande-son du film dont Ringo Starr est la vedette, et trois chansons vont marquer l'histoire du groupe, autant de N° 1 dans les charts. Help! d'abord, où John Lennon, il l'avoue plus tard, se met à nu en appelant au secours. Le succès, la célébrité, ne lui apportent aucune réponse, il est, dit-il, dépressif et boulimique, dans sa période « Elvis gros ». Ticket to Ride ensuite, considéré par Lennon comme le titre précurseur du hard rock avec ses effets de guitare, ses roulements de toms et sa basse insistante.

Yesterday enfin, la chanson mythique de Paul McCartney qu'il joue à tout son entourage, une fois composée sous le titre de travail Scrambled Eggs (« œufs brouillés ») se demandant sincèrement et interrogeant à la ronde pour savoir s'il a bien inventé cette mélodie ou si elle ne vient pas de quelque part, tant elle paraît évidente. Elle devient la chanson la plus diffusée et la plus reprise du XXe siècle (près de 3 000 reprises). Yesterday et son fameux arrangement pour quatuor à cordes, suggéré et concocté par George Martin en compagnie de l'auteur de la chanson qui pour la première fois, l'enregistre seul, sans les autres membres du groupe. Plus de 40 ans après, Paul mesure encore sa chance d'avoir rêvé cette chanson, de s'en être souvenu au réveil, qu'elle fut bien de lui, et qu'elle ait connu cet incroyable succès.

Le tournant de Rubber Soul

Un soir d', un ami dentiste de George Harrison et John Lennon charge leur café, ainsi que ceux de leurs épouse Cynthia Lennon et compagne Pattie Boyd avec une substance pas encore illicite : le LSD,. Ils découvrent donc cette drogue sans l'avoir voulu, mais John va en devenir un gros consommateur pour au moins les deux années suivantes, tous vont l'essayer (Paul, très réticent, est le dernier à en prendre, en 1966, mais le premier à en parler à la presse), et d'une façon générale, la musique et les paroles des Beatles vont encore évoluer sous l'influence de cette substance hallucinogène.

À l'automne 1965, ils enregistrent un album charnière dans leur carrière : Rubber Soul, jeu de mots à partir de Rubber sole ? semelle en caoutchouc ?, Soul music ? la musique de l'âme ? et Plastic soul ? âme influençable ?. Les textes sont plus philosophiques, plus fouillés (la poésie de Lennon, l'influence de Bob Dylan déjà présente dans You've Got to Hide Your Love Away de l'album Help!), aux thèmes plus sérieux. Le disque est enregistré dans l'urgence, car il doit sortir pour Noël, en quatre semaines, du 12 octobre au 11 novembre 1965.

La musique est devenue élaborée, les techniques d'enregistrement en studio sont en progression, le temps qui y est passé également. Leur immense succès est la garantie pour eux d'une liberté de plus en plus grande dans la création et la possibilité de bousculer les codes en vigueur (par exemple les horaires, ou le simple fait de pouvoir se déplacer de la salle d'enregistrement à la cabine, devant la table de mixage) dans les austères studios d'EMI. « C'est à cette époque que nous avons pris le pouvoir dans les studios » note John Lennon, ainsi que le contrôle total sur leur art.

Les locaux de ce qui s'appelle encore « studios EMI » (ils deviendront « Abbey Road » plus tard), fourmillent d'instruments en tous genres, jusqu'aux placards, et les jeunes musiciens dont l'esprit s'est ouvert en grand, intéressés désormais à toutes les formes de musique, commencent à tester et à intégrer les sons les plus divers dans leurs chansons. « On aurait pu emmener un éléphant dans le studio pour peu qu'il produise un son intéressant » raconte Ringo Starr.

C'est ainsi que George Harrison, qui vient de s'acheter un sitar car il est tombé amoureux de la musique indienne en écoutant les disques de Ravi Shankar, est amené à l'utiliser spontanément sur la chanson Norwegian Wood (This Bird Has Flown) de John Lennon. Grande première dans le rock, belle réussite et porte grande ouverte, dans laquelle pourra s'engouffrer Brian Jones pour construire quelques mois plus tard le riff du tube Paint It, Black des Rolling Stones.

Rubber Soul se caractérise par une rupture, qui est celle de la « trame 4 périodes » typique des premières chansons des Beatles : un couplet, un autre couplet, un moment d'instrumental ou pont, une reprise du second couplet. les Beatles, qui ne veulent pas devenir victimes d'un « procédé », rendent ici moins prévisible l'alternance de leurs parties chantées et vocales. Rupture encore : la quatrième chanson de Rubber Soul, Nowhere Man est la première chanson des Beatles ne parlant pas d'amour. Rupture toujours : il n'y a pas une seule reprise d'un quelconque standard du rock 'n' roll ou autre sur ce sixième disque des Beatles.

La technique d'écriture en tandem de John Lennon et Paul McCartney est alors à son apogée. Au quotidien ou quasiment, l'un amène une chanson dont la trame est plus ou moins avancée, l'autre y ajoute des paroles ou une idée musicale supplémentaire.

La chanson Girl plaît alors à une majorité ? toutes générations confondues ? et consacre les Beatles comme « musiciens » tout court et non « musiciens pour les jeunes ». In My Life est ce que John Lennon considère comme sa « première chanson parlant consciemment » de lui à la première personne et marque, tout comme Nowhere Man, son évolution vers des textes plus introspectifs et plus philosophiques.

Le chemin parcouru en trois ans est impressionnant. les Beatles étaient au départ un groupe à l'harmonie vocale de qualité ? leur maîtrise de la polyphonie n'a pas ét&eac